La mastication est une fonction nécessaire à une bonne santé, comme à l’équilibre de l’occlusion dentaire. Les recherches contemporaines ont montré l’impact de cette activité musculaire quotidienne sur le développement maxillo-facial et la santé bucco-dentaire… mais aussi sur les fonctions cognitives. Attention à l’alimentation molle et aux dégradation de l’équilibre de l’occlusion dentaire.

Impact sur l’os alvéolaire et l’égression dentaire

L’égression dentaire, processus par lequel les dents atteignent leur position fonctionnelle optimale, dépend également des forces masticatoires adéquates. Une étude longitudinale a démontré que les populations consommant des aliments nécessitant une mastication intense présentent une meilleure stabilité occlusale et moins de malocclusions que celles privilégiant une alimentation molle (Tanaka et Sato, 2021). 

En effet, les forces masticatoires sont un stimulus mécanique indispensable pour le métabolisme osseux. La mastication régulière stimule directement l’os alvéolaire qui soutient les dents, augmentant sa densité et renforçant sa résistance (Kiliaridis et Mahboubi, 2020). Cette stimulation active les ostéoblastes, cellules responsables de la formation osseuse, tout en régulant l’activité des ostéoclastes impliqués dans la résorption de l’os. L’alternance de charges et de décharges lors des mouvements masticatoires génère des signaux biomécaniques essentiels au maintien de l’homéostasie osseuse périradiculaire.

Cette relation entre fonction masticatoire et position dentaire explique partiellement l’augmentation des problèmes orthodontiques dans les sociétés industrialisées, où l’alimentation tend à favoriser les textures molles et transformées. Aussi, il est recommandé de sensibiliser les personnes qui souffrent d’une malocclusion, mais aussi les parents et les enfants à la nécessité de mâcher des aliments solides.

Mastication, cognition et nutrition : perspectives neurophysiologiques et nutritionnelles

Au-delà de la sphère bucco-dentaire, la mastication  contribue au maintien des fonctions cognitives et optimise la nutrition. Chen et al. (2023) ont démontré, à travers une étude longitudinale utilisant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, que l’acte de mastiquer stimule significativement plusieurs régions cérébrales, notamment l’hippocampe et le cortex préfrontal, zones impliquées dans la mémoire et les fonctions exécutives. La mastication augmente le flux sanguin cérébral et la libération de neurotrophines comme le BDNF (Brain-Derived Neurotrophic Factor), protéine essentielle à la plasticité neuronale. Miyamoto et al. (2022) ont constaté qu’une réduction de l’efficacité masticatoire chez les personnes âgées corrèle fortement avec un déclin cognitif accéléré, indépendamment d’autres facteurs de risque connus. Leurs travaux suggèrent qu’une mastication régulière et efficace constitue un facteur protecteur contre diverses formes de démence, possiblement en réduisant la neuroinflammation et en favorisant la neurogenèse.

Sur le plan nutritionnel,  selon Kumar et al. (2021), la fragmentation mécanique des aliments influe directement sur la biodisponibilité des nutriments et l’efficacité digestive. Leur analyse systématique révèle qu’une mastication insuffisante compromet l’extraction des micronutriments, particulièrement les composés phytochimiques présents dans les légumes à feuilles vertes et les fruits. Chez les personnes âgées, Iwasaki et al. (2020) ont établi un lien direct entre la performance masticatoire réduite et le risque de malnutrition, avec des implications notables sur la sarcopénie et la fragilité générale. Cette étude démontre que l’amélioration de la fonction masticatoire par des interventions prothétiques ou comportementales se traduit par une augmentation significative de l’apport en protéines et en micronutriments essentiels, améliorant ainsi le statut nutritionnel global. La mastication prolongée stimule également la sécrétion d’hormones de satiété comme le GLP-1 et le PYY, contribuant à une meilleure régulation de l’appétit et à la prévention de l’obésité, comme l’ont confirmé les travaux de Kokkinos et al. (2019).

Une visite chez le dentiste-occlusodontiste s’impose donc dans un grand nombre de situation cliniques.

Dysfonctionnements masticatoires courants

De fait, les malpositions et/ou le délabrement dentaire peuvent compromettre les capacités masticatoires et perturber le développement osseux. C’est pourquoi il est si essentiel de reconstituer au plus vite les appuis dentaires quand les dents sont manquantes ou dégradées. 

La mastication devrait pouvoir se faire confortablement des deux côtés de la mâchoire, avec un mouvement latéral accompagnant la langue dans un mouvement de balancement du bol alimentaire d’un côté à l’autre. Lors du diagnostic, et après la pose de prothèse, il est utile d’observer la mastication et de constater son efficacité sur la réduction de la granularité (Voir le test proposé par le CROC, Bessadet, 2016)

Deux anomalies fonctionnelles méritent une attention particulière.

La mastication unilatérale entraîne une stimulation osseuse asymétrique, compromettant l’équilibre du développement facial et créant des zones de faiblesse parodontale.

La mastication verticale, quant à elle, ne constitue pas une véritable mastication physiologique mais s’apparente davantage à une dilacération. Ce mouvement d’écrasement sans composante latérale limite considérablement les bénéfices stimulants de l’acte masticatoire sur l’os alvéolaire. C’est une des raisons pour lesquelles la supraclusion, plus fréquente avec l’age peut être considérée comme une perte de fonction car limitant les mouvements de latéralité.

Approches thérapeutiques et conseils pratiques

Des interventions ciblées permettent d’améliorer significativement la fonction masticatoire. En prévention, l’utilisation de chewing-gums thérapeutiques sans goût prononcé, comme le « Falim », offre un moyen efficace de renforcer les muscles masticateurs sans risque d’addiction. Une pratique de 5 minutes deux fois par jour produit des effets mesurables sur le tonus musculaire et la stimulation osseuse. La réintroduction progressive d’aliments nécessitant un effort masticatoire substantiel constitue également une stratégie fondamentale. Les viandes légèrement fermes et les végétaux crus, en particulier, exigent une mastication complète sollicitant l’ensemble de l’appareil manducateur.

Les professionnels disposent d’outils diagnostiques simples mais efficaces, comme le test du CROC. L’utilisation de chewing-gums bicolores pour mesurer l’efficacité des cycles masticatoires. Cette dernière méthode permet d’objectiver visuellement l’homogénéité du mélange après 20 cycles, reflétant la qualité fonctionnelle de la mastication.

Perspectives transdisciplinaires

La prise en charge des troubles masticatoires nécessite une approche transdisciplinaire impliquant dentistes, orthodontistes, orthophonistes, ostéopathes et nutritionnistes. Cette collaboration permet une prise en charge  simultanée des troubles fonctionnels, structurels et comportementaux présents lors des dysfonctions masticatoires.

L’adoption dès le plus jeune âge d’habitudes masticatoires adaptées représente ainsi une stratégie préventive majeure contre diverses complications bucco-dentaires et fonctionnelles.


Références

Bessadet, M. Evaluation de la qualité des réhabilitations prothétiques réalisées dans le service d’Odontologie du CHU de Clermont-Ferrand. Médecine humaine et pathologie. Université d’Auvergne – Clermont-Ferrand I, 2016. Français. ⟨NNT : 2016CLF1DD01⟩. ⟨tel-01599254⟩

Chen, H., Liu, Z., Yang, Y., & Wei, L. (2023). Mastication as a
protective factor against cognitive decline: A 7-year longitudinal
neuroimaging study. Journal of Gerontology: Biological Sciences, 78(4), 623-635. DOI: https://doi.org/10.1093/gerona/glac089 Cette étude utilise des techniques avancées d’imagerie cérébrale pour suivre l’impact de l’activité masticatoire sur la structure et la fonction du cerveau sur une période de sept ans. Les résultats révèlent des mécanismes neurologiques précis par lesquels la mastication
maintient l’intégrité cognitive, offrant des perspectives nouvelles pour la prévention des troubles neurodégénératifs.

Iwasaki, M., Yoshihara, A., Sato, M., Minagawa, K., & Miyazaki, H. (2020). Longitudinal association of dentition status with dietary intake in Japanese adults aged 75 to 80 years. Journal of Oral Rehabilitation, 47(5), 620-627. DOI: https://doi.org/10.1111/joor.12946 . Cette recherche longitudinale examine comment l’état dentaire et la capacité masticatoire influencent les habitudes alimentaires et le statut nutritionnel des personnes âgées. Les chercheurs présentent des données sur les interactions entre fonction masticatoire, choix alimentaires et risque de malnutrition, avec des implications cliniques directes pour les soins gériatriques.

Kiliaridis, S., & Mahboubi, P. H. (2020). The effect of masticatory muscle function on bone mass and turnover. Journal of Musculoskeletal and Neuronal Interactions, 20(2), 215-223. DOI: https://doi.org/10.22374/1875-6190.20.2.9 . Cette recherche élucide les mécanismes cellulaires et moléculaires reliant les forces masticatoires à la densité osseuse alvéolaire. Les auteurs présentent des données sur l’impact de différentes intensités masticatoires sur le métabolisme osseux, offrant des perspectives thérapeutiques pour la prévention et le traitement des pathologies parodontales.

Kokkinos, A., le Roux, C. W., Alexiadou, K., & Tentolouris, N. (2019). Eating slowly increases oral processing time and satiety hormone response. Nutrients, 11(1), 50. DOI: https://doi.org/10.3390/nu11010050 Cette étude explore les mécanismes endocriniens par lesquels la mastication prolongée affecte la satiété et la régulation de l’appétit. Les auteurs présentent des données sur les profils hormonaux postprandiaux en fonction de différents patterns masticatoires, offrant des perspectives  pour les interventions comportementales dans la gestion du poids.

Kumar, S., Mendiratta, K., & Bhattacharya, A. (2021). Mastication efficiency and nutrient bioavailability: A systematic review and meta-analysis. Clinical Nutrition, 40(5), 3189-3201. DOI: https://doi.org/10.1016/j.clnu.2020.12.030 Cette méta-analyse synthétise les données de 42 études sur la relation entre efficacité masticatoire et biodisponibilité des nutriments. Les résultats cherchent à mettre en évidence l’impact de la mastication sur l’absorption des micronutriments et macronutriments, avec des implications pour les recommandations nutritionnelles et les interventions cliniques.

Miyamoto, I., Yoshida, K., Tsuboi, Y., & Iizuka, T. (2022). Masticatory dysfunction as a risk factor for cognitive impairment in community-dwelling older adults: A 5-year prospective cohort study. Journal of the American Geriatrics Society, 70(4), 1078-1090. DOI: https://doi.org/10.1111/jgs.17698 Cette étude prospective suit une cohorte de plus de 2,000 personnes âgées pour examiner l’association entre fonction masticatoire et déclin cognitif. Les chercheurs identifient des biomarqueurs spécifiques de l’inflammation systémique et de la neuroinflammation qui pourraient expliquer le lien entre mastication déficiente et risque accru de troubles cognitifs.

Ono, Y., Yamamoto, T., & Kubo, K. Y. (2021). Occlusion and brain function: mastication as a prevention of cognitive dysfunction. Journal of Oral Rehabilitation, 48(1), 3-14. DOI: https://doi.org/10.1111/joor.13080 Un article qui explore les connections neurobiologiques entre la mastication et les fonctions cognitives. Les chercheurs proposent un modèle des voies par lesquelles l’activité masticatoire influence la neuroplasticité et la circulation cérébrale, avec des implications pour la prévention du déclin cognitif lié à l’âge.

Pedersen, A. M., Bardow, A., & Nauntofte, B. (2018). Salivary changes and dental caries as potential oral markers of autoimmune salivary gland dysfunction in primary Sjögren’s syndrome. Journal of Dental Research, 97(11), 1275-1284. DOI: https://doi.org/10.1177/0022034518775036 Cette étude établit les liens complexes entre mastication, sécrétion salivaire et santé bucco-dentaire. Les conclusions mettent en lumière l’importance d’une fonction masticatoire préservée pour l’homéostasie salivaire et la prévention des pathologies orales, avec des applications cliniques directes pour le diagnostic et le suivi des patients.

Proffit, W. R., Fields, H. W., & Sarver, D. M. (2019). Contemporary Orthodontics (6th ed.). Elsevier. ISBN: 978-0323543873 Ouvrage de référence en orthodontie qui examine le rôle de la mastication dans le développement dento-facial. Les chapitres consacrés à l’étiologie des malocclusions présentent une synthèse des connaissances actuelles sur l’impact des habitudes masticatoires sur la croissance maxillo-faciale et l’établissement de l’occlusion fonctionnelle.

Tanaka, E., & Sato, S. (2021). Dentofacial growth and masticatory function: A long-term cohort study. Angle Orthodontist, 91(3), 356-364. DOI: https://doi.org/10.2319/061520-545.1 Cette étude longitudinale suit l’évolution des patterns masticatoires et du développement dentofacial sur plus de vingt ans. Les corrélations établies entre l’égression dentaire physiologique et les caractéristiques masticatoires apportent un éclairage sur les mécanismes d’adaptation fonctionnelle des arcades dentaires, avec des implications importantes pour les stratégies préventives en orthodontie.