Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des experts en santé bucco-dentaire, nous avons eu le plaisir d’échanger avec le Dr Jean-Noël Vergnes. Chirurgien-dentiste de formation, chercheur et enseignant, il développe une approche systémique, centrée sur la personne, permettant des soins intégrés. Une approche particulièrement pertinente pour accompagner les personnes souffrant de douleurs orofaciales complexes.
Jean Noel Vergnes, pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre domaine d’expertise particulier ?
Jean-Noël Vergnes : Je suis chirurgien-dentiste de formation, diplômé en 2006. J’ai ensuite réalisé un cursus de recherche en épidémiologie, une recherche clinique et un post-doc au Canada sur l’approche centrée sur la personne. Depuis, j’ai développé des recherches en épidémiologie et de plus en plus en systémique, où je me suis formé à différents niveaux des approches systémiques, de la théorie à la pratique dans le soin.
En quoi consiste concrètement une approche systémique stratégique dans le traitement des douleurs orofaciales en cabinet dentaire ?
Jean-Noël Vergnes : Je vois deux axes de réponse. Le premier concerne la relation de soins. L’approche systémique permet d’avoir une certaine structure de consultation et surtout de développer la curiosité pour écouter nos patients. Il y a beaucoup d’approches inspirées ou compatibles avec les approches systémiques dans les thérapies brèves, mais c’est particulièrement applicable au champ de l’occlusodontie où les praticiens sont confrontés quotidiennement à la douleur chronique.
Dans la douleur chronique, il y a l’expérience vécue, l’inquiétude sous-jacente. On ne peut pas faire l’économie, dans ce type de prise en charge, d’une forte curiosité. Et cette curiosité n’est pas du tout une perte de temps, c’est de la stratégie pour pouvoir ensuite actionner des leviers d’action.
Le deuxième axe concerne justement ces leviers d’action. Ils ne vont pas être uniquement dans le cabinet, dans les gouttières ou dans les actes techniques – qui sont pour autant super précieux. Ils vont être aussi dans ce qu’on appelle en recherche les « approches intégrées » : comment on organise notre système d’adressage autant en amont, avant les diagnostics, qu’en aval. À qui on adresse, pourquoi on adresse, comment on explique cet adressage, comment on est imaginatif dans ces adressages.
Comment articulez-vous cette approche avec votre réseau de correspondants et d’autres spécialistes, notamment pour les douleurs orofaciales complexes ?
Jean-Noël Vergnes : Cette créativité, issue à la fois de l’entretien avec le patient et de nos adressages, va permettre d’agir de façon systémique pour nos patients. Systémique, c’est-à-dire en utilisant les différents systèmes : celui de l’assurance maladie quand on sait ce qui est remboursé, le système familial quand on connaît les conseils qu’on peut donner, le système du cabinet quand on sait qui travaille avec nous, et le système de nos confrères pour savoir à qui on peut facilement adresser.
Ce qui est peut-être plus important dans le soin d’aujourd’hui, c’est une bonne relation entre les professionnels et une écoute proactive. Connaître les personnes à qui j’adresse les patients ne nécessite pas forcément de déjeuner tous les jours avec elles, mais d’avoir une petite conversation sur les modalités d’adressage, les finalités, les indications.
Organiser une petite toile professionnelle autour de chacun permet un maillage qui va ensuite aider à confectionner un parcours très particulier pour le patient. Ce parcours peut être très fléché avec des pathologies nécessitant une séquence bien déterminée de différents professionnels, ou plus singulier quand on va avoir besoin, par exemple, d’une approche de thérapie familiale à l’occasion de la prise en charge de problèmes orofaciaux.
Qu’entendez vous par « récit du patient » ? Quelle place lui accorder dans la pratique du dentiste’occlusodontiste ?
Jean-Noël Vergnes : Ça peut paraître étonnant de donner ce poids au terme de « récit du patient » dans le titre d’une conférence. Avec nos recherches systémiques, nous constatons que la brique fondamentale, l’étincelle à allumer auprès des étudiants et des praticiens, c’est la curiosité. Sans curiosité pour le parcours de vie ou le contexte de vie du patient, de sa famille, on va passer à côté de diagnostics, même biologiques, et encore plus de leviers d’action thérapeutiques.
La brique essentielle de la complexité d’un patient, c’est son récit de vie. Et pourquoi un récit ? Parce que c’est quelque chose qui se construit. Le patient n’arrive pas avec un livre de sa biographie. Le constructivisme nous apprend que notre récit de vie, nous le construisons. Quand nous parlons de notre passé, de notre cheminement, c’est une construction. Et quand on parle de maladie, de souffrance, c’est une construction encore plus personnelle, avec des inquiétudes très singulières.
Le récit est, de mon point de vue, le noyau de ce qui va permettre ensuite d’agir dans toute cette complexité, que ce soit par les parcours de soins intégrés, la relation de soins ou la structuration de la consultation.
Comment recueillir ce récit dans le cadre et le temps d’une consultation d’occlusodontie ?
Jean-Noël Vergnes : Dans ma conférence (mardi 10 juin 2025), je présenterai les résultats de nos recherches sur les structurations de consultations centrées sur la personne dans le domaine dentaire. J’expliquerai comment organiser nos cinq premières minutes d’exploration initiale de la personne. En occlusodontie, pour les douleurs orofaciales chroniques, cela peut parfois être un peu plus long.
Je montrerai comment organiser notre consultation, très pratiquement, avec le patient sur le fauteuil, pour que puissent émerger tous les signaux les plus importants sur lesquels on rebondira une fois le diagnostic posé et les options thérapeutiques envisagées. Ce sont vraiment les cinq phases de la structuration thérapeutique de l’approche centrée sur la personne que j’aimerais présenter.
Cette structuration, sans être une recette de cuisine systématique, est précieuse quand on veut s’organiser pour laisser un espace de parole sans s’égarer avec les patients qui pourraient digresser. L’objectif n’est pas d’allonger la consultation mais de l’optimiser. Il faut donc savoir maîtriser cette méthode et aussi s’en écarter quand la situation le nécessite.
Cette approche semble initialement prendre du temps, mais elle en fait gagner considérablement sur le long terme, en évitant les diagnostics erronés et les traitements inefficaces, particulièrement dans les cas de douleurs chroniques complexes.
Vous souhaitez, à propos de votre conférence, qu’on parle d’humanisme, de science et d’art ?
Jean-Noël Vergnes : Oui, à l’occasion de cette conférence, j’aimerais qu’on parle de science et d’humain, loin de les opposer, via la systémique. L’humain, c’est la finalité de nos pratiques, et donc c’est de la science. J’aimerais qu’on parle de parcours de soins intégrés, d’écoute du patient, et de référer tout ça à de la science et à de l’art.
L’art, c’est la mise en récit des parcours de vie très singuliers des patients, et donc j’aimerais à la fois m’appuyer sur des connaissances scientifiques, et sur des œuvres littéraires, pour présenter combien notre métier est complexe et passionnant, à travers l’exemple de situations cliniques, et à travers l’exemple d’articles scientifiques, qui nous montrent comment la recherche intégrée, le fait de travailler avec nos confrères, de tisser un réseau de santé professionnel autour de nos pratiques, aide à actionner auprès de nos patients des leviers thérapeutiques, qui vont permettre de les aider, de les soigner, de les écouter.
Et tant mieux si cette conférence s’adresse à l’ensemble des professionnels de santé, on va être beaucoup plus impactants, créatifs et imaginatifs pour résoudre les problèmes très singuliers des patients. On sait aujourd’hui que si la relation thérapeutique est déterminante pour la qualité du soin, la qualité des relations entre les praticiens est tout aussi importante. Il faut donc qu’on s’organise collectivement pour avoir des approches riches en termes de pluriprofessionnalité.
« Douleurs orofaciales : le récit des patients pour agir en système », Dr Jean-Noël Vergnes,
(visio)Conférence – soirée rencontres transdisciplinaires le 10 juin 2025 plus d’info cliquez ici
