Les douleurs orofaciales chroniques, particulièrement celles associées au bruxisme idiopathique, représentent un défi thérapeutique du fait des nombreux facteurs bio-psycho-sociaux impliqués, dont le bruxisme considéré comme facteur aggravant. Au moment où est publiée la Stratégie Nationale Sport Santé, observons que l’activité physique peut être une aide pour les personnes qui se servent de leur mâchoire comme “soupape du stress” (Slavicek, 2015).

Le bruxisme, défini comme une activité musculaire répétitive des muscles masticateurs caractérisée par le grincement ou le serrement des dents (plus silencieux mais pas moins délétère), pourrait en effet être influencé par notre niveau d’activité physique quotidienne. Cette hypothèse, appuyée par des observations cliniques auprès de nos patients, nécessite encore des études approfondies. Cependant elle s’inscrit dans une approche systémique des mécanismes du stress et de leur gestion par l’organisme.

Rappelons que la littérature scientifique établit clairement le lien entre stress psychologique et bruxisme. Ce qu’ont confirmé les nombreuses études menées à l’occasion de la pandémie de Covid-19 (Vlăduțu, 2022 ; Osses-Anguita, 2023 ; Dias, 2022…).

Les mécanismes physiologiques sous-jacents impliquent plusieurs systèmes. Le stress chronique entraîne une élévation persistante du cortisol, hormone qui maintient l’organisme dans un état d’alerte. Parallèlement, on peut faire l’hypothèse que l’accumulation d’adrénaline et de noradrénaline, sans possibilité de décharge par l’activité physique, contribue à un déséquilibre neurovégétatif propice aux manifestations para-fonctionnelles nocturnes.

L’activité physique comme régulateur naturel

Or, il a été démontré que l’exercice physique régulier agit comme un puissant régulateur du système nerveux autonome. Herring et al. (2010) ont démontré dans une méta-analyse portant sur plus de 1000 patients que l’activité physique (séance quotidienne de 30 mm sur 12 semaines) réduit significativement les symptômes anxieux des personnes sédentaires, avec des effets comparables à ceux des anxiolytiques pharmacologiques. Cette réduction de l’anxiété pourrait directement impacter la fréquence et l’intensité des épisodes de bruxisme sans recours à la pharmacopée.

Les mécanismes d’action sont multiples. L’exercice stimule la production d’endorphines, neurotransmetteurs aux propriétés analgésiques et anxiolytiques naturelles. Il favorise également la sécrétion de sérotonine et de dopamine, neurotransmetteurs impliqués dans la régulation de l’humeur et du sommeil. Cette neurochimie positive pourrait contribuer à réduire l’hyperactivité musculaire nocturne.

Il ne s’agit pas sans doute de limiter cette activité physique à des exercices localisés sur la zone orofaciales, qui ne sont pas sans intérêt (Michelotti et al., 2004 ; Medlicott et Harris, 2006 ; Tuncer et al., 2013), mais plutôt de considérer les bénéfices sur un plan plus global et sans doute délicat à mesurer.

La recherche clinique commence à valider l’intérêt de l’activité physique dans tous les domaines de la santé, notamment pour les personnes en douleurs chroniques. Cette efficacité s’explique par plusieurs mécanismes. D’abord, l’exercice physique modifie la perception douloureuse en activant les systèmes endogènes de contrôle de la douleur. Les endorphines libérées lors de l’effort exercent un effet analgésique direct sur les récepteurs opioïdes centraux. Ensuite, l’activité physique régulière induit une neuroplasticité positive, renforçant les circuits neuronaux impliqués dans la gestion du stress et la régulation émotionnelle.

Ces hypothèses demandent à être vérifiées, par exemple par des études interventionnelles comparant l’évolution du bruxisme avant/après introduction d’un programme d’activité physique ; ou bien par des mesures polysomnographiques chez des populations sédentaires vs actives.

Soins personnalisés et intégrés, mais aussi hygiène de vie

Pour les personnes sédentaires (assises toute la journée devant leur ordinateur !) souffrant de douleurs orofaciales chroniques, l’intégration d’un programme d’activité physique adapté peut constituer une approche thérapeutique complémentaire pertinente. Les recommandations seront nécessairement individualisées, mais certains principes généraux émergent de la littérature.

Les activités d’endurance modérée (marche, natation, cyclisme) pratiquées 30 minutes par jour, 5 jours par semaine, constituent la base recommandée par l’OMS. Cette fréquence permet d’obtenir les bénéfices neurochimiques sans risquer le surentraînement qui pourrait paradoxalement augmenter le stress physique. Notamment si la pratique du sport est associée à des notions de performance.

La régularité prime sur l’intensité. Des micro-sessions d’activité physique réparties dans la journée peuvent être plus bénéfiques qu’une séance intense isolée. Cette approche rejoint les recommandations de la Stratégie Nationale Sport-Santé 2025–2030, qui promeut l’intégration de pauses actives dans l’environnement professionnel.

L’approche par l’activité physique ne doit pas être considérée comme une alternative aux traitements conventionnels du bruxisme, mais plutôt comme un complément thérapeutique dans une démarche intégrée. La multifactorialité du bruxisme idiopathique justifie une approche multidisciplinaire associant gestion du stress, amélioration de l’hygiène du sommeil, correction des facteurs occlusaux si nécessaire, et optimisation du mode de vie. Les dentistes-occlusodontistes ont un rôle à jouer dans ce domaine, comme pour l’amélioration de la nutrition.

L’éducation du patient constitue un élément central. Comprendre le lien entre stress, sédentarité et manifestations orofaciales permet au patient de devenir acteur de sa prise en charge. Cette autonomisation thérapeutique, promue par la Stratégie Nationale Sport-Santé 2025–2030, pourrait constituer un levier d’amélioration de la qualité de vie.

Herring, M. P., O’Connor, P. J., & Dishman, R. K. (2010). The effect of exercise training on anxiety symptoms among patients: a systematic review. Archives of internal medicine, 170(4), 321–331.
https://doi.org/10.1001/archinternmed.2009.530

Medlicott, M. S., & Harris, S. R. (2006). A systematic review of the effectiveness of exercise, manual therapy, electrotherapy, relaxation training, and biofeedback in the management of temporomandibular disorder. Physical therapy, 86(7), 955–973.
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16813476/

Michelotti, A., Steenks, M. H., Farella, M., Parisini, F., Cimino, R., & Martina, R. (2004). The additional value of a home physical therapy regimen versus patient education only for the treatment of myofascial pain of the jaw muscles: short-term results of a randomized clinical trial. Journal of orofacial pain, 18(2), 114–125. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/1525043