Pour le dentiste-occlusodontiste, comme pour tout praticien de santé, le premier enjeu dans la rencontre avec une personne qui consulte, c’est de favoriser une alliance thérapeutique. Mais ce n’est pas l’expertise qui établit la confiance, nous dit le Dr Bruno Dubos. La qualité de la relation thérapeutique repose sur les fondamentaux de la relation humaine, le tout premier contact s’établit sur la base des ressentis corporels. Cette dimension relationnelle du soin, déterminante pour le succès des traitements, trouve un écho particulier dans la pratique du dentiste-occlusodontiste, souligne le Dr Br Weill. Du fait des enjeux d’intimité corporelle et l’invasivité des soins dentaires, mais aussi parce que les soins aux personnes souffrant de douleurs chroniques oro faciales et/ou de bruxisme exigent une coopération sécure. Interview croisée en amont de la (visio)conférence du Dr Bruno Dubos.

Dr Bruno Dubos, diriez-vous que la relation thérapeutique se joue d’abord dans les ressentis corporels ? 

Bruno Dubos :  Nous l’avons perdu de vue dans nos sociétés occidentales mais, même si ce n’est pas conscient d’un point de vue cognitif et psychologique, la relation humaine est avant tout une synchronisation corporelle. Lorsque l’on rencontre quelqu’un, c’est d’abord notre corps, c’est-à-dire tout notre système sensoriel et proprioceptif qui va recevoir les effets de la relation. Ces effets vont nous permettre d’installer des pensées sur la qualité de la relation et sur l’intention de l’autre.

Au début de ma pratique, je n’avais pas ce recul sur l’importance fondamentale d’installer une relation de confiance qui soit ressentie et non pas seulement pensée… Et ça a posé des difficultés.  Quand certains patients contactaient des expériences ou des ressentis difficiles, même si j’étais toujours attentif et bienveillant, les personnes avaient la sensation de ne pas être entendues. Pour moi, il y avait un sentiment à la fois d’injustice et quelque chose de paradoxal, puisque j’étais extrêmement à leur écoute. Mais ces personnes ne le ressentaient pas. 

Christophe Weill : C’est pourquoi tu dis que « la fonction ne créer pas la sécurité ». Ce n’est pas le titre ou la réputation du professionnel de soin qui génère automatiquement la confiance. L’expertise technique, si nécessaire soit-elle, ne garantit pas l’établissement d’une relation de confiance. Notre statut de soignant ne nous exonère pas de la co-construction de la confiance mutuelle dans le lien thérapeutique. Et notre formation technique ne nous a pas préparés à favoriser cette synchronisation qui permettent à deux individus différents de s’accorder l’un avec l’autre, se passe dans le corps et non dans la cognition. 

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Dr Christophe Weill cette dimension relationnelle résonne-t-elle d’une façon particulière dans le soin aux personnes qui souffrent de douleurs orofaciales et/ou de bruxisme ? 

Dr Christophe Weill : Bien-sûr ! Le dentiste-occlusodontiste se doit de prendre en compte la création d’un espace relationnel sécure ! Nos soins imposent généralement une proximité physique qui peut sembler invasive, avant même que nous intervenions dans la bouche des patients, sans parler de la position allongée du patient qui peut convoquer une situation de vulnérabilité. 

Le bruxisme illustre parfaitement l’intrication entre dimension psychique et somatique. Les recherches récentes, notamment celles menées pendant la pandémie COVID-19 (Vlăduțu, 2022), attestent d’une corrélation forte entre stress psychosocial et parafonctions orofaciales. Le traitement purement mécanique (gouttières) s’avère insuffisant si l’on ne considère pas les mécanismes sous-jacents. 

Or les études (Winocur, 2002) montrent qu’un accompagnement hypnothérapeutique est à lui seul plus efficace pour diminuer les douleurs temporomandibulaires que le port d’une gouttière ou de l’éducation thérapeutique. L’idéal étant de combiner l’ensemble dans une approche personnalisée et intégrée des soins (Besimo, 2012).

Rappelons que nous recevons des personnes qui peuvent être légitiment inquiètes, voire méfiantes si les expériences de soin précédentes ont été pénibles ou infructueuses. D’autant que nous recevons souvent des personnes souffrent depuis longtemps, hypersensibilisées ou dissociées… De plus, il n’est pas rare qu’elles portent un vécu traumatique, des expériences d’abus… Le soin commence nécessairement par établir un espace de sécurité. 

Dr Bruno Dubos : Les médecins généralistes, les dentistes, les kinésithérapeutes le savent bien : ce qui fait la différence, ce n’est pas la technicité ou le savoir, mais la compétence à être en relation. La perception que beaucoup de soignants ont de la relation est une perception dans laquelle il y a une part majeure de cognitif et de psychologique, avec une méconnaissance du fait que cette relation passe aussi par le corps – le corps du sujet et le corps du thérapeute.

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Corps en relation, (visio)conférence avec Bruno Dubos, psychiatre hypnothérapeute, Jeudi 2 octobre 2025. 

 

Dr Bruno Dubos, quel serait votre premier conseil aux praticiens pour favoriser la co-construction d’une relation sécure ?

Dr. Bruno Dubos : Et en tout premier lieu, il convient de prendre en compte l’espace relationnel. En tant que praticien, on peut avoir l’habitude de se positionner dans l’espace de notre cabinet pas trop près de la personne (pour ne pas être invasif), mais pas être trop loin… Le plus souvent, faute de formation spécifique, cet espace se définit en fonction des contingences et des ressentis du thérapeute. 

Le problème, c’est que l’espace que nous ressentons comme acceptable n’est pas forcément celui que ressent le patient. De façon systématique maintenant, j’explore quel est l’espace qui permet au patient d’être en sécurité – non pas de se penser en sécurité, mais de se sentir en sécurité. C’est important d’apprendre à questionner cet espace en termes de ressenti, pas en termes de pensée permet d’éviter de mauvaises surprises. Un soin, même s’il est sous-tendu par la technique, reste avant tout une relation entre deux personnes. Or, on sait que la relation guérit. Elle peut faire mal, mais elle peut guérir aussi.

Dentistes-oclusodontistes.fr : 
des références pour aller plus loin

Dubos Bruno, 2022, Les âges clandestins, hypnose et thérapie – Guide stratégique à l’usage des thérapeutes créatif, Satas

Dubos Bruno, (2020) Les Âges clandestins, Pourquoi on ne fait pas toujours son âge Payot Psy

Dubos Bruno, (2019) Guérir des troubles des conduites alimentaires, Le Germe, Satas

Besimo, C. E. (2012). Hypnosis in dentistry: A review of its applications and benefits. Swiss Dental Journal, 122(4), 308-315. 

Vlăduțu, D. E., Ionescu, C. A., Popa, A. D., Stanciu, D., & Iliescu, A. A. (2022). The impact of COVID-19 pandemic on bruxism and temporomandibular disorders. Romanian Journal of Oral Rehabilitation, 14(1), 85-91. Cette publication éclaire l’impact des facteurs psychosociaux sur les parafonctions, justifiant une approche intégrée des soins

Winocur, E., Gavish, A., Finkelstein, T., Halachmi, M., & Gazit, E. (2002). Hypnotherapy for temporomandibular disorders: A randomized controlled trial. International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 50(4), 391-408.