Serrer les dents le jour et grincer des dents la nuit, le bruxisme serait-il plus fréquent chez les femmes que chez les hommes ? Des études menées pendant la pandémie COVID19 ont montré un impact différencié : le stress met plus particulièrement les femmes sur les dents.
Le grincement de dents est le comportement le plus généralement associé au bruxisme dans sa version nocturne. Cependant le bruxisme diurne, moins connu n’est pourtant pas le moins délétère. La plupart des personnes qui consultent pour des douleurs oro-faciales sous estiment la fréquence et l’intensité avec laquelle elles serrent les dents. Ou bien elles considèrent que ce serait un peu normal de serrer les dents vu les difficultés auxquelles elles sont confrontées : « oui, je suis un peu stressé.e mais comme tout le monde, non ? » Sous estimer l’impact des pressions internalisées n’est pas anodin. C’est pourquoi un accompagnement personnalisé est souvent nécessaire pour traiter le bruxisme. Il n’est pas inutile de préciser pourquoi les femmes semblent plus exposées.
Le bruxisme est un phénomène courant auquel le corps a recours en cas de stress. Le considérer comme une dysfonction est discutable [1], cependant ce comportement devient délétère par son intensité et sa fréquence. Il peut avoir des effets graves sur les dents, mais pas seulement. Il est facile de comprendre que le bruxisme peut directement être la cause d’usures de l’émail, de fracture et délabrement des dents ainsi que des tissus de soutien. Mais il est moins connu que les crispations des muscles manducateurs (même en l’absence de grincement audible) provoquent des tensions dans la mâchoire, ce qui peut entraîner toutes sortes de douleurs, particulièrement des maux de tête et des douleurs chroniques. Un cercle vicieux peut s’installer entre le stress, le serrage des dents, les douleurs, qui augmentent encore un peu plus le stress… Un accompagnement personnalisé est souvent nécessaire pour soulager durablement une personne, en l’aidant selon ses enjeux.
A l’occasion de la pandémie de COVID19, des études menées dans différents pays [1] [2], ont montré l’impact très significatif des circonstances stressantes sur l’augmentation du bruxisme et des troubles associés. Une étude [3] conduite auprès de 288 patient.e.s a permis de mesurer l’augmentation du bruxisme, des parafonctions buccales et des Dysfonctions Temporo-mandibulaires (DTM). L’augmentation de l’activité parafonctionnelle est significative pendant la pandémie de COVID-19, tant chez les hommes que chez les femmes (p < 0,001). Cependant, le bruxisme, sous ces formes nocturne et diurne, était plus répandu chez les femmes (AB-p < 0,001 ; SB-p = 0,014).
De nombreuses études convergent pour montrer que la prévalence est plus importante chez les femmes que chez les hommes et cela indépendamment d’autres facteurs bio-psychosociaux variables selon les pays. Dans un article publié en 2020 dans le Journal of Clinical Medicine, la docteure Alona Emodi-Perlman et la professeure Ilana Eli de l’école de médecine dentaire Goldschleger de TAU rapportaient une étude menée conjointement entre l’Université de Tel Aviv en Israël et celle de Wroclaw en Pologne. Basés sur plus de 1500 formulaires complétés par des étudiants en dentaire, les résultats montrent que, si l’impact de la pandémie a été différent, dans les deux pays les femmes serrent les dents plus que les hommes lorsqu’elles sont stressées. Plus de 45 % des femmes déclarent serrer les mâchoires pendant la journée, tandis qu’environ 50 % des femmes grincent des dents la nuit.
Les femmes d’âge moyen (35-55 ans) sont plus particulièrement touchées. « Nous pensons, disent les chercheurs, que nos résultats reflètent la détresse ressentie par la génération intermédiaire, enfermée à la maison avec de jeunes enfants, sans l’aide habituelle des grands-parents, tout en s’inquiétant pour leurs parents âgés. Des personnes confrontées par ailleurs à des problèmes financiers et souvent obligées de travailler à domicile dans des conditions difficiles». Les difficultés que rencontrent les femmes du fait de leurs conditions socio-économiques se répercutent ainsi sur leur santé.
Une autre étude [4], menée également pendant le premier confinement de la pandémie de Covid-19, a confirmé une augmentation significative des symptômes de douleurs à la mâchoire et au visage, de serrements de mâchoires et de grincements de dents, qui sont des manifestations bien connues d’anxiété et de détresse émotionnelle. « Nous avons constaté que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de souffrir de ces symptômes « , ont déclaré les chercheurs. Les femmes ont été visiblement plus gravement affectées que les hommes par les DTM pendant la pandémie, et cela reste vrai depuis. Une autre étude, rétrospective celle-ci [5] a mesuré que « le risque pour les femmes de présenter un diagnostic de DTM, douloureux ou non, était 3,7 à 4,4 fois plus élevées que pour les hommes » et que ce risque persiste au-delà de la période de référence.
L’exposition à long terme à des niveaux élevés d’anxiété et de stress peut aggraver ou déclencher des troubles stomatognathiques. Les praticiens doivent en être conscients et attentifs à sensibiliser leurs patient.e.s concernant le bruxisme et les conséquences sur les douleurs oro-faciales ou les troubles de l’ATM. Il s’agit de ne pas banaliser le sujet, ou de le considérer comme une difficulté personnelle, alors qu’elle concerne plus particulièrement les femmes, plus exposées aux facteurs de risques.
Bruxisme : références pour aller plus loin
[1] Dias R, Lima R, Prado IM, Colonna A, Ferrari M, Serra-Negra JM, Manfredini D. Impact of Confinement by COVID-19 in Awake and Sleep Bruxism Reported by Portuguese Dental Students. J Clin Med. 2022 Oct 18;11(20):6147. doi: 10.3390/jcm11206147. PMID: 36294468; PMCID: PMC9604542. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9604542/
[2] Kolak V, Pavlovic M, Aleksic E, Biocanin V, Gajic M, Nikitovic A, Lalovic M, Melih I, Pesic D. Probable Bruxism and Psychological Issues among Dental Students in Serbia during the COVID-19 Pandemic. Int J Environ Res Public Health. 2022 Jun 23;19(13):7729. doi: 10.3390/ijerph19137729. PMID: 35805387; PMCID: PMC9266173. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9266173/
[3] 1Lobbezoo F, Ahlberg J, Glaros AG, Kato T, Koyano K, Lavigne GJ et al. Bruxism defined and graded: an international consensus. J Oral Rehabil. 2013; 40: 2–4. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/joor.12413
[4] Winocur-Arias O, Winocur E, Shalev-Antsel T, Reiter S, Levartovsky S, Emodi-Perlman A, Friedman-Rubin P. Painful Temporomandibular Disorders, Bruxism and Oral Parafunctions before and during the COVID-19 Pandemic Era: A Sex Comparison among Dental Patients. J Clin Med. 2022 Jan 25;11(3):589. doi: 10.3390/jcm11030589. PMID: 35160041; PMCID: PMC8837112. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8837112/
[5] Shalev-Antsel, Tamar & Orit, Winocur-Arias & Friedman-Rubin, Pessia & Naim, Guy & Keren, Lihi & Eli, Ilana & Emodi-Perlman, Alona. (2023). The continuous adverse impact of COVID-19 on temporomandibular disorders and bruxism: comparison of pre- during- and post-pandemic time periods. BMC Oral Health. 23. 10.1186/s12903-023-03447-4. https://www.researchgate.net/publication/374446535_The_continuous_adverse_impact_of_COVID-19_on_temporomandibular_disorders_and_bruxism_comparison_of_pre-_during-_and_post-pandemic_time_periods