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Douleurs chroniques et médecines complémentaires

    Un grand nombre de personnes qui souffrent de douleurs orofaciales chroniques choisissent de recourir aux médecines complémentaires et alternatives (MCA). Comment comprendre ces démarches parfois déconcertantes, et comment accompagner ces personnes dans le respect de notre cadre déontologique ? Voici quelques éléments utiles issus d’une étude récente intitulée « Le recours aux médecines complémentaires et alternatives (MCA) face aux incertitudes de la médecine allopathique ». Les conclusions émises par les auteurs de cette publication nous fournissent des perspectives nécessaires pour prendre soin sans juger des croyances de celles et ceux qui nous consultent.

    Photo Edward MuntingaUnsplash

    Quelles sont les questions que soulève le développement croissant des MCA dans le champ de la santé ? Saluons le travail d’explicitation des auteurs de l’étude publiée en 2016 et intitulée : « Le recours aux médecines complémentaires et alternatives (MCA) face aux incertitudes de la médecine allopathique » [1].

    Premier constat, basé sur une publication de 2010 [2], 42,6 % des patients ont déjà eu recours à une MCA dans leur vie, 18,4 % y ont eu recours au cours de ces 12 derniers mois, et 80,8 % sont satisfaits de ce recours. Les MCA les plus utilisées par les patients sont l’ostéopathie, l’homéopathie, l’acupuncture [2] ainsi que la médecine chinoise en général [3]. Et les principales indications de recours sont les douleurs, les troubles fonctionnels, les troubles anxieux et asthéniques [2] 

    Deuxième constat, il est bien épineux de définir le périmètre des MCA qui recouvrent un grand nombre de pratiques hétérodoxes. “Il est difficile de situer les limites du concept de «médecine non conventionnelle ». Serait-il pertinent d’établir une distinction entre des pratiques socialement acceptées et s’insérant dans le domaine de la médecine, comme l’acupuncture, de celles qui s’en éloignent davantage comme les pratiques énergétiques, spirituelles, voire ésotériques ?

    Les auteurs avancent qu’une MCA pourraient se caractériser de plusieurs manières, par : “le type de médecine non conventionnelle (par le toucher, l’alimentation, la pratique psychocorporelle, etc.), sa place dans le domaine de la science (pratique prouvée, inéprouvée, pratique socialement acceptée, dérive, etc.), son approche (laïque, spirituelle, religieuse, etc.), ses modes de recours (complémentaire ou alternatif, individuel ou groupal) ainsi que le cadre de recours chez le patient (intégré ou hors du contexte de la médecine conventionnelle).

    Cependant, et c’est le troisième constat, le concept de MAC traduit surtout une diversité d’attitudes motivationnelles (ex. logique additionnelle, substitutive, diminution des effets secondaires, autonomie des soins, contrôle de la maladie, espoir de guérison etc.). Les auteurs proposent donc de “retenir les motivations psychologiques, les croyances et la place de la spiritualité, le cadre et les modes de recours aux MCA comme les dimensions principales structurant les choix thérapeutiques des patients. Et c’est sur ce point que la publication rencontre les questionnements des praticiens, dans le domaine des douleurs oro faciales et plus largement.

    Le recours croissant aux MCA

    L’étude conduite par V. Suissa, M.-C. Castillo et A. Blanchet porte sur 32 patients atteints de cancer, certains recourant aux MCA et d’autres non. Sur les 32 patients, 22 utilisent les MCA, dont 8, de façon alternative.

    L’analyse des entretiens met en lumière l’utilisation variée des MCA, classées en cinq catégories distinctes : MCA par le toucher, l’alimentation, pratiques spirituelles et/ou énergétiques, pratiques psychologiques, et nouvelles pratiques psychocorporelles. Ces pratiques révèlent des besoins émergents chez les patients, tels que la nécessité d’intégrer des valeurs personnelles dans leur trajectoire de soin, qu’elles soient religieuses, spirituelles, intellectuelles, etc.

    Les auteurs suggèrent donc de définir les MCA non pas tant par leurs caractéristiques que par leur usage, en se basant sur des critères subjectifs reflétant l’attitude d’un sujet face à ses représentations et croyances concernant sa maladie. Ils proposent une approche psychologique pour mieux comprendre les motivations, les croyances, et la place de la spiritualité chez les patients recourant aux MCA. Ce qui amène à replacer les MCA dans un cadre en lien avec les démarches médicales centrées sur les valeurs. 

    “Si la recherche de sens constitue un processus central chez les malades, il convient néanmoins de s’interroger sur les dérives psychologiques que peuvent induire certains recours hétérodoxes. La survenue d’une pathologie grave et potentiellement létale impose de nombreux remaniements psychologiques confrontant le patient à la question fondamentale du sens de la maladie, faisant émerger de nombreuses croyances autour de sa survenue et des moyens d’en guérir”.

    Des motivations psychologiques ?

    Les défis rencontrés par les personnes souffrant de douleurs chroniques sont multiples. Et l’impact des facteurs psychosociaux a été largement démontré. Un accompagnement psychologique pourrait-il jouer un rôle crucial, notamment en accordant davantage de place à la question des MCA ?

    L’étude souligne que le recours aux MCA met à l’épreuve l’alliance thérapeutique. En effet, les patients peuvent s’abstenir de communiquer à leurs médecins au sujet des MCA auxquelles ils ont recours. Serait-ce par crainte de la réaction du soignant ? Sommes-nous prêts à en entendre parler ? Sommes-nous prêts à entendre les questions qui se posent pour la personne en souffrance chronique ?

    Or, en tant que praticiens de la santé, il est de notre responsabilité de respecter et de comprendre les choix des patients en matière de traitements. Y compris dans le domaine des médecines dites complémentaires. Sans un échange ouvert entre le praticien et le patient, pouvons-nous l’aider à distinguer entre les médecines complémentaires des médecines alternatives ou encore, celles qui ont prouvé ou non leur efficacité ?

    La clé pour une bonne alliance thérapeutique réside dans une approche empathique et collaborative, cherchant à intégrer les valeurs personnelles des patients tout en continuant à offrir des soins fondés sur des preuves. D’autre part, il appartient aussi au praticien de s’informer sur les médecines dites «complémentaires», en s’ouvrant à un pluralisme thérapeutique ou contre-thérapeutique.

    Les auteurs relèvent qu’en dépit de leurs divergences, les médecines conventionnelle et non conventionnelle tendent à se rejoindre et à se compléter dans un objectif commun : l’amélioration de l’état du patient et la prise en charge d’une pathologie spécifique et de ses répercussions. Si la croissance notable des pratiques non conventionnelles, regroupées sous le terme MCA, se comprend comme la réponse à une demande croissante des patients, alors, cette évolution doit nous interroger sur les avantages et les limites de ces approches complémentaires dans le contexte de la médecine standard. 

    Comment les praticiens de santé peuvent-ils distinguer le grain de l’ivraie ? Véronique Suissa, docteur en psychologie, l’une des auteurs de l’étude est aujourd’hui la directrice générale de l’Agence des Médecines Complémentaires Adaptées. l’A-MCA a été auditionnée en septembre dernier par des membres de l’académie de médecine, dans le cadre d’un groupe de travail visant à « comprendre la place de l’irrationalité dans le soin, pour mieux maîtriser ses effets délétères »

    S’appuyant sur son étude doctorale, Véronique Suissa a souligné qu’il est, de fait, “important de distinguer les processus des usages complémentaires des usages alternatifs. Dans un cas des usages complémentaires, l’irrationnel peut constituer un appui qui facilite l’observance, alors que dans le cas des usages alternatifs, l’irrationnel représente un risque qui ne s’articule plus avec la médecine puisqu’il s’oppose à tout fondement scientifique. “

    Ceci étant précisé, Véronique Suissa, constate que “les croyances initiales de ces patients participent des recours non conventionnels, ces derniers contribuant à renforcer leurs croyances voire à en développer de nouvelles. Or, elles peuvent avoir des fonctions invalidantes ou soutenantes au sens où elles peuvent participer du refus de soin ou à l’inverse favoriser l’observance.” Les praticiens ont donc un rôle à jouer en apprenant à aborder ce sujet, avec les personnes qui les consultent.

    En effet, ces pratiques témoignent de nouveaux besoins des patients comme la nécessité d’intégrer des valeurs personnelles dans leur trajectoire de soin, que ces valeurs soient de nature religieuse, spirituelle, intellectuelle, etc. Comprendre ce mouvement est essentiel afin de ne pas opposer deux modèles de soins au risque d’une rupture de l’alliance thérapeutique, voire d’un abandon des traitements curatifs. Il convient de ne pas oublier que le choc de la maladie et les répercussions des traitements rendent les personnes vulnérables. Elles sont alors plus en risque de se trouver prises dans une dérive confinant à l’embrigadement sectaire et/ou à l’arrêt des traitements standard.

    Plus d’info 

    [1] V. Suissa, M.-C. Castillo, A. Blanchet (2016) Le recours aux médecines complémentaires et alternatives (MCA) face aux incertitudes de la médecine allopathique © Lavoisier SAS https://www.researchgate.net/publication/311734226_Le_recours_aux_medecines_complementaires_et_alternatives_MCA_face_aux_incertitudes_de_la_medecine_allopathique

    [2] Mayer-Levy C (2010) Recours aux médecines complémentaires et alternatives parmi les patients en médecine générale à Paris. Puf

    [3] Bernstein BJ, Grasso T (2001) Prevalence of complementary and alternative medicine use in cancer patients. Oncology (Huntingt) 15:1267–72

    [4] L’A-MCA auditionnée par l’académie de médecine sur son approche des pratiques complémentaires

    https://www.agencemca.fr/information/la-mca-auditionnee-par-lacademie-de-medecine-sur-son-approche-des-pratiques-complementaires