Image illustrant le diagnostic du chirurgien dentiste occlusodontiste

Les restaurations dentaires, même “bien faites” exigent une adaptation de la part du patient. La modification des stimulations neurosensorielles peuvent avoir des conséquences déroutantes pour le praticien non averti ; des conséquences très pénibles pour les personnes qui re(re)viennent consulter, se plaignant d’un inconfort local ou global. Pourrions-nous éviter ces échecs en comprenant ce phénomène ? De mieux en mieux documentées, notamment en posturologie, les effets des stimulations neurosensorielles peuvent-elles aussi être un levier de soin ? Le Dr Mike Cotelle, président du CNO fait le point.

dentistes-occlusodontistes.fr : en quoi est-ce si important de comprendre les stimulations neurosensorielles ?

Dr Mike Cotelle : En premier lieu pour éviter les échecs. Typiquement, une personne revient consulter après des soins prothétiques, en se plaignant de gêne ou de douleurs persistantes, locales ou même distantes, dont elle associe l’origine avec nos soins…. La situation peut être délicate. Si on ne voit pas ce qui pourrait gêner, il faut se garder d’intervenir comme de rejeter la plainte, mais peut-être de prendre en compte les effets d’une stimulation neurosensorielle inadéquate. 

La cavité buccale étant dotée d’une innervation sensitive, toute modification créera une stimulation qui sera perçue par le SNC via le V, VII et X, et analysée. Cette stimulation pourra être perçue comme une simple modification d’état (compensation, voir Clauzade, 2006 et Duminil, 2013. Ou mieux, elle sera perçue comme bénéfique si la capacité d’adaptation est optimisée. Au pire, elle sera perçue comme délétère si elle n’est pas placée à la bonne intensité, au bon endroit ou au bon moment. Avec des risques de décompensation. 

Nous devons être attentifs à toute modification au sein de la cavité orale. Car, même subtile, elle sollicite les capacités d’adaptation. Or, comme le résume parfaitement Gérard Duminil : « La quantité d’adaptation disponible et ses limites étant inconnues, la thérapeutique mise en place visera toujours à ramener le patient dans des conditions occlusales optimales… afin de solliciter le moins possible les mécanismes de l’adaptation ». 

La moindre modification de l’occlusion peut avoir un impact qui pourrait sembler disproportionné ?

Portrait du dr Mike Cotelle

Dr Mike Cotelle : En effet, il n’y a pas de linéarité entre le stimulus et la réponse, et donc les « petites» erreurs peuvent provoquer d’importantes répercussions (Baron, 1953). Aussi, l’équilibration occlusale après réalisation d’un soin ou d’une prothèse est un acte qui demande du temps et de la minutie. Rares sont aujourd’hui les “erreurs” faites par réalisation d’un acte en sur-occlusion réelle. Mais cela doit être vérifié tout de même. Il peut par contre exister un problème de localisation du, ou des contacts créés. Un point de contact statique créé sur une pente cuspidienne peut provoquer instabilité et glissement.

Au pire, elle sera perçue comme délétère si elle n’est pas placée à la bonne intensité, au bon endroit ou au bon moment. Avec des risques de décompensation. 

Alors, ceci induira une réaction musculaire consciente ou réflexe, locale (langue ou lèvres), et/ou locorégionale via les muscles de l’appareil manducateur (Cazals, 2018), voire globale par les chaînes musculaires. C’est le principe de la stimulation neurosensorielle, connu dans le domaine de la posturologie. 

Pour maintenir la position debout, un individu utilise plusieurs systèmes sensoriels (Peterka, 1995). Le corps humain s’adapte donc (ou tente de le faire) en permanence au gré de diverses stimulations perçues par ses capteurs posturaux : les yeux, les pieds…et l’occlusion dentaire! Les capteurs transmettent une information sensitive au système nerveux central, ce qui provoque une réaction motrice adaptative en retour. 

Dès que les capteurs intrabuccaux sont stimulés, le système tente de s’adapter à ces nouvelles conditions biologiques mais s’il n’y parvient pas… Il peut s’ensuivre une incompréhension de la part du praticien, ce qui génère une situation complexe, voire conflictuelle… Le praticien comme le patient peuvent se retrouver en mauvaise posture.

Mauvaise posture ? La relation occluso-posturale ne fait pas encore consensus

Dr Mike Cotelle : La relation occluso-posturale reste à établir au sens de l’Evidence Based Medecine. Cependant de nombreux cliniciens travaillant sur l’occlusion et la posture (comme P.H.Dupas, M.Clauzade, A. Darthez, M. Cotelle) constatent au quotidien une amélioration de divers symptômes posturaux à partir d’une prise en charge « occlusale » et pluridisciplinaire

Les mécanismes de transmission d’information vers le SNC à partir d’une stimulation, créant une réponse motrice avec tentative d’adaptation, paraissent très éloignés de la pratique de l’art dentaire. Pourtant nous avons pu voir que certains échecs s’expliquent aisément de par l’existence de ce phénomène. Le corps se stabilise dans l’espace grâce au système postural, multimodal et multi-sensoriel, dont fait partie l’appareil stomatognathique. Ainsi, il n’est pas impossible qu’une épine irritative au sein de l’appareil manducateur, puisse avoir des répercussions posturales, par une stimulation. 

Parfois nous aurons l’impression de respecter tous les critères, et pourtant les patients se plaindront d’inconfort. On pourrait se dire que notre travail étant “bien fait”, le problème est inhérent au patient, probablement pointilleux, ou que sa plainte relève de son contexte biopsychosocial. Possible que ce soit aussi un problème d’adaptation à nos reconstitutions. Même réalisées “dans les règles de l’art”, elles diffèrent de l’état initial (forme, volume, hauteur, relief) Donc elles nécessitent une adaptation dont les patients ne sont pas capables, pour le moment en tout cas, provoquant décompensation et symptômes. 

Possible que ces patients soient aussi confrontés, par ailleurs, à un contexte émotionnel et une pluri-symptomatologie globale. En posturologie, cela s’appelle l’état d’hyper excitabilité centrale (ou SDP), créant le syndrome de décompensation postural ou SDP (Da Cunha, 1979), qui empêchent les patients de s’adapter à toutes modifications, même celles qui pourraient leur être bénéfiques. Un des champs d’action de la posturologie sera de dépister ces patients, et de leur redonner de l’adaptabilité.

Plus vite les patients en décompensation seront traités, moins il sera complexe de revenir à un état de compensation. Ne laissons donc pas « traîner » les cas de nos patients pour lesquels nous ne trouvons pas de solution, adressons-les. 

La compréhension des stimulations neurosensorielles peut-elle ouvrir des nouvelles pistes de traitement d’occlusodontie?

Dr Mike Cotelle : Une connaissance, même minime, des concepts d’interneurones et de chaînes musculaires permet d’expliquer qu’une stimulation locale puisse engendrer une réponse motrice à distance, voire même ciblée. L’incertitude face aux résultats doit bien sûr nous orienter vers des interventions non invasives, évolutives et réversibles (orthèses et/ou collages par exemple, versus des meulages). Les reliefs occlusaux garantissent un calage de l’OIM, une stabilité transversale (indispensable au système articulaire), ainsi qu’une efficacité masticatoire. La présence de soins multiples, molaires notamment, avec perte de relief provoquera une diminution de cette efficacité, perçue bien sûr, et une tentative d’adaptation via une mastication unilatérale le cas échéant, voire une sollicitation des dents plus antérieures. Les patients peuvent signaler une modification de leur mastication sans pouvoir en expliquer la raison. 

A noter : la sous occlusion est un défaut d’occlusion, bien plus fréquent que la sur-occlusion. La proprioception détecte tout autant les pertes de contacts, et donc de calages, qui impacteront l’OIM, la déglutition et la mastication, en sus de provoquer parfois une égression de la dent antagoniste, et l’apparition de prématurité et/ou d’interférences. 

Occlusion dentaire : une position de repos

L’adaptation peut avoir sur le long terme des conséquences sur les muscles élévateurs, leurs antagonistes, et sur les ATM. Pour cette raison certains cliniciens (Le Gall†/Joerger) proposent, lors de la prise en charge de dysfonction temporo-mandibulaire (DTM), de redonner du relief aux secteurs postérieurs en première intention. Ceci afin de pallier ce manque de calage, de stabilité et de guidage, qui pourrait être considéré comme une « neurostimulation négative », imposant une adaptation dont le patient n’est pas capable, l’amenant à la décompensation et à la dysfonction. 

Nos interventions peuvent donc avoir des répercussions importantes, via les stimulations neurosensorielles. Nous devons donc bien évidemment en tenir compte. Cependant constater des effets délétères nous amène à poser un postulat : et si, à partir de la cavité buccale, il était possible de stimuler le SNC à visée thérapeutique globale? J’ai ainsi constaté des résultats prometteurs sur un certains nombre de cas clinique (voir article)

Est-ce l’intérêt de la thérapie neurosensorielle intrabuccale au service de la posture ?

Dr Mike Cotelle : Conçus en 1994 par P. Villeneuve et A. Marino, sur le principe des semelles de proprioception, les ALPH visent à stimuler les nerfs V et VII pour engendrer une réponse locale, mais aussi globale, favorable. Ce sont des reliefs de composite flow collés sur les faces vestibulaire, palatine, ou linguale d’une ou plusieurs dents, la, ou les zones à stimuler étant testées préalablement à l’aide de pressions labiales, linguales, ou de stimulations posées transitoirement à la surface de la peau (Fig.9a, b et c). L’intérêt, mais aussi l’impact immédiat, peuvent être vérifiés à l’aide de tests aisément praticables en cabinet dentaire, dont certains validés et reproductibles comme le posturo-dynamique (Villeneuve, 1995) (Lemaire, 2003). 

Le corps se stabilise dans l’espace grâce au système postural, multimodal et multi-sensoriel, dont fait partie l’appareil stomatognathique. Le chirurgien-dentiste est donc, involontairement souvent, un posturologue. Comprendre ce qui se joue dans les stimulations neurosensorielles permet de mieux anticiper les effets induits par les actes dentaires. Pour la satisfaction du patient et donc la nôtre.

Pour aller plus loin

Stimulation neurosensorielle et dentisterie: comprendre le principe et s’en servir, Dr Mike COTELLE, Isabelle WILQUIN, N°233 DENTOSCOPE, p18-28

Rappel à propos de l’occlusion dentaire :

  • éviter de créer ou laisser des prématurités
  • ne pas fermer le cycle de mastication existant (Abjean, 2002), 
  • ne pas ouvrir les angles fonctionnels, source d’instabilité frontale, voire de morsures. 
  • respecter le couloir d’équilibre des forces internes (langue) et externes (joues et lèvres), pour des raisons mécaniques, mais pas uniquement. Nombreux sont ceux parmi nous qui ont vu des patients revenir, se plaignant d’inconfort, de sensation de manque ou d’excès de volume, de morsures, suite à une pose de prothèse.
  • Attention aux égressions pouvant induire un contact prématuré sur le chemin de fermeture, et provoquer ainsi un mouvement d’évitement via une latéro-propulsion, non physiologique et donc prédisposante à la décompensation.